Voici un extrait du roman "DICTATURE FAMILIALE" :

 

L'autorail avançait en cahotant. Mal fermée, une porte de la voiture de seconde classe battait. A travers les vitres embuées, les voyageurs ne pouvaient apercevoir qu'une nuit noire, parsemée de quelques lumières de villages et de hameaux. Le train ralentit et s'arrêta dans une petite gare, dont la salle d'attente était brillamment éclairée. Le convoi ne comportait que deux voitures. La seule occupante du compartiment de première classe était une dame blonde d'une quarantaine d'année, au regard dur et sévère. Elle portait une jupe plissée et un bustier droit. Elle semblait nerveuse et elle n’arrêtait pas de regarder à gauche et à droite.

 

Un homme sortit des toilettes en tirant bruyamment la chasse d'eau. Elle sursauta et lui jeta un regard haineux. Elle allait rejoindre son ex-mari, André Saroyan, dans sa maison du Dauphiné. Ils avaient divorcé dix ans plus tôt et elle s'était remariée avec un architecte anglais, tandis qu’il vivait avec une jeune actrice, déjà mère de deux enfants. Le train stoppa en haut d'une côte et attendit longtemps Dieu sait quoi. Elle rêvassait et ne pouvait s'empêcher de regarder d'un oeil critique le décor du compartiment. Grande et mince, elle dominait les autres et elle dirigeait son ménage d’une main de fer. En excellente opportuniste, elle saisissait la moindre occasion pour la tirer à son avantage. Elle ne se préoccupait pas des moyens mis en œuvre pour arriver à ses fins. Le haut-parleur finit par annoncer la station où elle descendait et elle empoigna sa valise.

 

La gare de Saint-Maurice-en-Triêves était minuscule. Une colline bouchait la vue sur la plaine et cela causait une sensation d’étouffement. A droite, une forêt épaisse et noire achevait de rendre les lieux lugubres et oppressants. Un petit vent glacé l’accueillit à sa sortie du train. Elle ne put s’empêcher de frissonner en rajustant son manteau. Sur le quai, elle chercha des yeux un porteur, mais, en dehors du chef de gare -un vieux beau-, il n'y avait personne. Elle sortit par la salle des pas perdus et elle attendit un long moment. Le chauffeur de son ex-mari, un grand bourgeois de la région, devait l'attendre pour l'emmener au manoir. Il était presque 21 heures et la nuit était tombée. Elle entendit le tortillard repartir dans un grand bruit de ferraille.

 

Au bout de quelques minutes, une grosse BMW noire se rangea devant Pauline. Cela tombait bien, car elle était pressée de partir. Elle avait une importante partie d'échec à jouer. Il ne fallait pas traîner. Tout au long du trajet, Pauline bavarda avec le conducteur qui lui apprit que son ex-mari avait de gros problèmes à l'usine. Une grève avait éclaté depuis une semaine pour des histoires de salaire et de pause méridienne. Les syndicats s’en étaient mêlés et ils posaient de nombreuses conditions pour une reprise éventuelle du travail.

 

En entendant la voiture stopper devant le perron de sa maison, André Saroyan se précipita à leur rencontre. Petit, rond et émotif, il passait souvent inaperçu en société, sauf dans le cadre professionnel, où il montrait une énergie et une volonté hors du commun. Très élégant, il était vêtu d'un magnifique costume noir et sa cravate était d'un rouge éclatant.

 

  • Ma chère, je suis si content ... Cela fait combien de temps? Voyons ...

 

  • Bonjour! Arrête tes salamalecs et donne-moi vite des nouvelles.

  • Ma foi, ça ne va pas très fort! L'usine est en grève, Marie-Christine est partie avec les enfants à ...

  • Je me fiche de ta poule et de ta boîte, hurla-t-elle en haussant les épaules et en prenant un air dégoûté. Ce que je veux, c'est des nouvelles de mon fils!

 

Elle faisait allusion à Jacques, leur unique enfant. Après avoir mal vécu le divorce de ses parents, il s’était brouillé avec eux. Ayant du mal à s’intégrer en France, il était parti pour l’Amérique Centrale et il n’avait plus donné aucune nouvelle. Sa mère n’avait pas digéré cette séparation, qu’elle avait pris pour une trahison.

 

  • Tu sais, ce n'est peut-être pas lui, murmura-t-il, en regardant ses chaussures. L'image à la télévision était mauvaise. Et je n'ai vu que la fin du reportage. J'ai demandé une copie à la chaîne. J'ai quelques actions chez eux et ils ne peuvent rien me refuser. La cassette vient juste d'arriver par coursier.

 

Elle sourit, en se rappelant les habitudes de son ancien compagnon, qui adorait

 

réaliser des coups en Bourse. Il arrivait ainsi à combiner son goût pour le jeu et pour celui des affaires. Elle se rappelait ainsi qu’il avait souvent la main heureuse, car il possédait un instinct hors du commun.

 

  • Je vois que tu boursicotes toujours à droite et à gauche?

 

  • Oui! Leurs actions rapportent bien. L'année dernière, par exemple ...

 

  • Rentrons dans le vif du sujet. Je suis là pour mon fils! Uniquement! Je me fiche pas mal de tes actions !

 

  • Qu'est-ce que tu es énervée!

 

  • Tu ne sais dire que ça! Déjà de mon temps, tu répétais la même phrase.

 

  • Rentrons. Il commence à faire froid.

 

Deux jours plus tôt, André était dans son bureau, en conversation téléphonique avec son banquier parisien. La télévision était allumée et il dictait des ordres de vente, tout en écoutant les informations d'une oreille distraite.

 

- ... Crouzet, oui, prenez-m'en quelques unes ... Damart? Non, j'en ai déjà trop ... Darty, oui seulement une vingtaine ... De Dietrich, vous attendez qu'elles remontent un peu et vous vendez tout! ... Dmc, non, j'abandonne ... Docks France, vous vendez!

 

Une bonne avait fait une rapide apparition et elle avait posé un verre embué sur la table. Pendant ce temps, les informations à la télé continuaient.

 

- ... Le plan de formation prioritaire pour l'emploi a été bien accueilli par la confédération des PME et de façon plus réservée par le MEDEF, dans la mesure où les dispositions qu'il contient vont renchérir le coût des moyens et des hauts salaires ... Enfin, le ...

 

La liste des valeurs continuait.

 

- ... Fromagerie Bel, non! ... Lafayette, seulement quelques unes, si elles ne sont pas trop hautes ... Gascogne, j'hésite! Cela n'a rien donné le mois dernier, je crois? ... Oui, donc vous laissez tomber ... Silic, non! ... Transgene, vous m'en prenez pour 3000 ... Areva, vous en vendez le quart. Non, la moitié ... Combien m'en reste-t-il? ... Oui, donc la moitié ...

 

Il regarda un instant son poste de télévision, dont le sujet avait changé.

 

  • ... En Amérique Centrale, au Costa Grava, un coup d'Etat a renversé le régime du Président ESPINOZA. Le Front de Libération, dirigé par le colonel SARO, contrôle maintenant le pays. Sur place, notre envoyé spécial Paul Vincent ... Alors Paul, où en sommes-nous ?

 

  • Eh bien Paul, tout est calme en ce moment en ville ... Je me trouve en ce moment devant le Palais Présidentiel et ...

 

 

 

André se replongea dans ses actions et reprit sa litanie

 

  • Avenir Telecom, non ... Esi Group, je crois qu'il m'en restait? ... Donc, vous vendez! ... Scoa, non j'abandonne ... Seb, essayez de m'en prendre pour 10 000 et même un peu plus, si vous pouvez ... Sfim, peut-être ... Qu'est-ce que vous en pensez? ...

 

Sur l’écran de télévision, on voyait maintenant le visage du nouveau Président du Costa Grava. André, qui venait d'y jeter un oeil, ne put s'empêcher de penser qu'il lui rappelait quelqu'un. Mais, qui? D'ailleurs, sa casquette noire lui cachait une partie du visage, alors qu'il parlait devant les micros. Cela rendait l'identification difficile.

 

  • ... J'apporterai la richesse et la prospérité à ce pays, qui a tant souffert. Costagraviens, costagraviennes, si notre nation n'a pas encore eu la place qui lui est due sur l'échiquier mondial, c'est que nous nous sommes endormis sur nos lauriers! Nous avons été trop optimistes. Les anciens dirigeants n'étaient que des incapables et ils nous ont conduits à la ruine ...

 

André était de plus en plus intrigué, car la voix lui était familière. Il se leva et augmenta le son du poste de télé, tout en continuant à parler à son banquier. Soudain, en regardant encore une fois l'image du jeune Président qui parlait, une idée l'effleura et il se mit à crier:

 

  • Non de non, mais c'est Jacques ... Mon fils Jacques!

 

Il resta un moment abasourdi, alors que le banquier, au bout du fil, se demandait ce qui se passait. Il préféra raccrocher et resta comme médusé, alors que le reportage se terminait. Le téléphone sonna et il décrocha, nerveusement.

 

  • André, c'est toi?

 

  • Pauline! Quelle bonne surprise, comment vas-tu? Tu es toujours à Londres?

 

Il était rare que son ex-femme l'appelle et c'était toujours pour des choses graves. Il se mit vaguement à penser à son fils.

 

  • Trêve de bavardages, tu as vu le coup d'Etat au Costa Chose? Alors, c'est Jacques, ou ce n'est pas lui?

 

  • J'ai eu la même impression que toi! On jurerait que c'était lui. Mais il était trop loin pour l’identifier.

 

  • Il faudrait en être certain! Fais quelque chose, toi! Tu es un homme! Bon, je saute dans le premier avion et j'arrive.

 

  • Tu comptes venir ?

 

  • Ça t'ennuie ?

 

  • Non, au contraire ... Mais, que veux-tu que nous fassions?

 

  • Je serai à Tréminis demain au plus tard!

 

Ils regardèrent plusieurs fois le reportage. Mais, l'homme était trop éloigné de la caméra pour se faire une idée. La mère déclara qu'il fallait tout de suite partir là-bas ... POUR LIRE LA SUITE CLIQUEZ ICI !